Obscur vendredi

Si 30 millions d’amis et la SPA n’existaient pas, certains de nos voisins, de nos collègues et des usagers de la SNCF auxquels nous nous frottons chaque jour lascivement durant les heures de pointe, n’hésiteraient sans doute pas à clouer sur leur porte un chat noir qu’ils auraient au préalable attiré dans leurs filets avec une barquette de Félix au poulet élevé en batterie. Dans le seul but de repousser le mauvais œil, tel un ophtalmologue du Moyen Âge.

Un siècle de libertinage érudit (le XVIIème, je le précise pour les non érudits) et un autre de philosophie des Lumières (le 18ème, pour les chiffrarabophiles qui ne savent pas lire les croix, les vés et les bâtons romains) n’auront pas suffi à effacer toute trace des superstitions encouragées par les chefs d’une Église catholique soucieux d’asseoir leur autorité en décérébrant les cerveaux des serfs, des prévôts et même des rois illettrés.

Certes, après Voltaire et Diderot, il y a eu les pleurnichards du Romantisme, puis Paul Valéry, Alain Proust (à moins que ce soit Marcel ?), Louis-Ferdinand Céline et Benjamin Castaldi. Mais tout de même ! Est-ce une excuse pour toucher du bois avec des doigts sales comme des orteils ? Pour jeter du sel par dessus son épaule gauche, alors que je viens de passer l’aspirateur ? Pour gaspiller la nourriture en se baladant avec une bite de Roger Rappatte au fond de sa poche, alors que celle-ci, généreusement badigeonnée de moutarde, nourrirait une demi-douzaine d’enfants grecs affamés ?

Aujourd’hui, nous sommes le vendredi 13. Et, pour cette seule raison, des millions de superstitieux congénitaux vont aller jeter leur pognon dans ces tonneaux des Danaïdes qui appartiennent à la « Française des Jeux » et au « PMU ». Alors que si nous étions le vendredi 12 ou 14, seuls quelques centaines de milliers de zombies, parce que c’est une habitude chez eux, échangeraient leur argent contre des tickets à gratter, à cocher ou à s’essuyer. Notons que ce sont généralement les mêmes qui se plaignent du coût de l’essence, alors que le prix d’une grille de Loto qui finissait autrefois chiffonnée devant le comptoir, parmi les cendres de mégots, et qui finit aujourd’hui chiffonnée devant le comptoir où les cendres de mégots sont prohibées, le prix d’une grille, dis-je, équivaut à celui d’un litre de super (à peu de chose près).

Et que penser de ces gens qui manquent tout juste de se faire écraser dans la rue pour éviter de passer sous une échelle, qui invitent à dîner la belle-mère acariâtre pour être 14 et non 13 à table, qui souhaitent « merde » au lieu de « bonne chance » à un patient dépourvu d’humour qui va subir un examen colorectal ? Certains jours, je me sens découragé face à la naïveté de mes contemporains, surtout lorsqu’elle confine à l’obscurantisme.

Pourtant, je sais bien qu’une certaine incommunicabilité entre autrui et moi est tout naturelle : étant taureau ascendant lion, je suis né sous l’influence de Mercure en train de pénétrer Uranus, ce qui fait de moi un esprit éclairé mais solitaire.
 

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